Avant de prendre mes fonctions de responsable du travail et de la formation à l’administration pénitentiaire, j’ai eu la chance de pouvoir exercer pendant deux mois les fonctions de surveillant stagiaire à Fleury-Mérogis. Les durées de séjour des détenus y étaient généralement brèves – six mois en moyenne- avant un retour en liberté ou une affectation dans un autre établissement.
Chaque jour la Chancellerie transmettait en fin de journée la liste des détenus à libérer. Chaque personne se voyait alors proposer de passer une dernière nuit en cellule pour, au matin, rejoindre un ami ou un parent venu le chercher. La plupart choisissaient une libération immédiate et empruntaient l’autobus qui les conduisait à Paris. Cet autobus faisait le tour du périphérique et s’arrêtait à chaque porte de Paris pour déposer ceux qui en manifestaient le souhait. Si bien que la première nuit de liberté était bien souvent sous les ponts.
Ce fait témoigne de la faiblesse des liens sociaux des détenus et surtout des effets de désocialisation de la prison (ruptures des liens amoureux, affaiblissement des liens de filiation ou des liens amicaux).
Quelques années plus tard, en prenant la direction d’un département d’un laboratoire spécialisé sur les questions de formation, le Céreq (Centre d’études et de recherche sur les qualifications), à Marseille j’ai retrouvé Michel Bérard ancien membre comme moi de l’équipe de Bertrand Schwartz chargée des missions locales jeunes. Il venait de créer une association Voisins et Citoyens en Méditerranée destinée à soutenir les initiatives locales de lutte contre la pauvreté. Ces initiatives couvraient un champ très large en matière d’accès à l’alimentation, à la culture, au logement, au transport et au travail. Toutes créaient une forme nouvelle d’éducation populaire et suscitaient une adhésion dont les motifs excédaient largement le seul objet de l’association en créant des systèmes de relations d’entraide. Je m’y suis alors spécialisé dans la validation des acquis de l’expérience en application d’une loi récente promue par Vincent Merle, ancien directeur du Céreq.
Délivrer des diplômes à des personnes de faibles niveaux scolaires et dépourvues des formes habituelles de reconnaissance sociale est un moment émouvant facilitant les liens sociaux.
Le Conseil Régional PACA ayant changé de majorité, les crédits de notre association ont disparu et nous avons maintenu une partie de nos anciennes relations à titre individuel. C’est ainsi que j’ai poursuivi mes activités avec la ferme de Berdine, un lieu d’accueil de personnes sans domicile fixe et souvent frappées d’addictions. Dans un village des monts du Vaucluse, 70 à 80 personnes vivent dans un habitat individuel ancien, réhabilité dans le respect des traditions locales.
Tous les résidents se voient proposer de participer aux travaux agricoles ou autres qui y sont organisés par les résidents eux-mêmes : stockage et livraison de bois de chauffage, entretien de troupeaux, fabrication et vente de fromages, productions biologiques de légumes et vente sur les marchés, fabrication de pain… et bien d’autres produits auto-consommés ou vendus dans les environs. Ce mode de vie communautaire permet des reconstructions personnelles autorisant des départs vers d’autres horizons ou bien un maintien sur place.
Le travail est bien plus que l’acquisition d’un savoir-faire, parfois validé par un titre ou un diplôme. Il participe d’un système de coopération permettant la vie en commun. Certains sont partis exercer leurs talents ailleurs, d’autres reviennent après une tentative infructueuse, mais tous se souviennent de Berdine, de leurs activités quand ils ont pu en avoir, des soins de leurs addictions, des compagnonnages vécus et des manifestations culturelles auxquelles ils ont pu participer à l’occasion des estivales de Berdine.
Les phénomènes de solitude sociale auxquels notre société est confrontée réclament de réinventer une nouvelle forme d’éducation populaire dans la vie quotidienne tissant les liens sociaux dont nous avons tous besoin.
Université de la formation professionnelle
Michel Théry, l’anatomiste de la formation
Fabrique
Samedi 2 juillet
14h – 16h
Jardin Leïs Eschirou, Dieulefit