Tout près d’ici nos prisons : le graphisme au service du projet politique

— PENDANT LES RENCONTRES

📅 samedi 10 juillet

🕐 14h30

Visite commentée de l’exposition Ruedi Baur, graphiste et Vera Baur-Kockot, sociologue spécialisée en anthropologie visuelle.

Église du Gué à Poët Laval, possibilité de navette

Gratuit sur réservation

— AUTOUR DES RENCONTRES

Visible les 9, 10 et 11 juillet

🕐 14h à 18h (fermé le dimanche)


Tout près d’ici nos prisons résulte, en 1995, d’une démarche réalisée sous la direction artistique de Ruedi Baur. Elle a consisté à réunir 27 graphistes européens pour concevoir autant de visuels associés chacun à l’un des droits fondamentaux de la personne privée de liberté. Il s’en suit une exposition “clé en main”, de 64 affiches (format 70 x 50), éditée en nombre, vendue à des structures désireuses de travailler sur l’enfermement (centres sociaux, MJC, établissements scolaires, centres culturels…).

Affiche générique de l’exposition, Ruedi Baur


Article paru dans Libération le 4 octobre 1995

ARTS. Plusieurs graphistes ont illustré les maux de la vie carcérale: design sobre pour contenu militant. Voyage autour de la prison en 31 affiches .


Les visiteurs qui auront la bonne idée de s’aventurer dans l’exposition Tout près d’ici nos prisons fomentée par l’Observatoire international des prisons (OIP) pourront profiter d’une surprise inhabituelle. Ils auront le loisir de repartir chez eux avec une mallette en kit de l’exposition comportant 31 affiches de graphistes designers. Même si l’initiative évoque en clin d’oeil la petite valise dans laquelle Marcel Duchamp avait miniaturisé ses oeuvres complètes, elle n’en est pas moins originale. Transportable aisément, accessible à tous, l’exposition est également une ingénieuse illustration de la logique de l’oeuvre d’art à l’ère de la reproductibilité poussée jusqu’à l’extrême. Les villes d’Échirolles, Villeurbanne et Bruxelles ont déjà fait l’acquisition de ce kit hors norme.

Ainsi, en plus du salutaire mais quelque peu roboratif rapport annuel dénonçant les conditions de vie dégradantes dans les prisons du monde, l’OIP a eu l’idée de lancer ce projet: demander à des graphistes ­certains célèbres, d’autres moins mais tout aussi ingénieux­ d’élaborer une affiche inédite à partir d’un thème imposé, à savoir: liens familiaux, santé, toxicomanie, sida, racisme… Une manière punch, à coups d’affiches-massues, d’opposer un usage citoyen du graphisme à une prison à visage inhumain.

Directeur artistique de l’exposition, Rudi Baur, la quarantaine élancée et ténébreuse, fait partie des fines plumes du graphisme français. A la Cité internationale de Lyon, comme pour la signalétique de la ville de Nancy, son travail se caractérise par une réinterprétation feutrée des codes du design. Ni minimaliste ni révolutionnaire, Baur mélange avec humour l’imagerie classique et populaire avec des rappels de cultures oubliés filtrés ludiquement dans des géométries épurées. A défaut d’être impeccable, sa sélection présente l’infini mérite de réunir des maîtres comme l’Anglais Brody, des stars comme Garret ou des incontournables tel Fronzoni. Pour sa part, Rudi Baur s’est livré au délicat exercice de la composition de l’affiche de l’exposition. Une espèce de papier peint jaune vif parsemé de marguerites en pleine déhiscence, à l’exception d’une seule, encastrée dans un épais carré aussi noir qu’une cour de prison. Ce côté fleur bleue, image publicitaire, est délibérément exagéré pour, selon Rudi Baur, «rappeler l’approche superficielle que le monde extérieur a de la prison». L’effet obtenu est celui d’une grande sérénité, à l’image des marguerites jaunes qui, depuis l’avènement du bouddhisme au début du VIe siècle au Japon, historient les cérémonies d’offrandes au Bouddha… Mais le visuel léger à base de marguerites renvoie aussi à la fragilité de la condition de citoyen libre. «Il faut parfois très peu de choses pour se retrouver en prison, insiste Guillaume Cancade, un des responsables de l’OIP. Nous avons voulu mettre en avant la proximité de la prison et en même temps l’aberration et l’injustice du quotidien derrière les barreaux. En France, aujourd’hui, des femmes accouchent menottes aux poignets! Pareil pour une rage de dent qui n’est soignée qu’après une semaine d’attente! C’est tout cela que l’exposition veut pointer.»

Ce travail de dénonciation des injustices subies par les prisonniers, les affiches y parviennent grâce à un graphisme à l’esthétisme sobre et virulent, un design de la persuasion. De ce point de vue, l’affiche de Catherine Zask sur le thème des femmes est d’une efficacité redoutable. Sur fond noir, elle trace une espèce de calligraphie aux traits blancs grossiers dont la symbolique laisse deviner une silhouette féminine cherchant vainement à s’affirmer dans une obscurité écrasante. Privilégiant l’intervention informatique, Nevile Brody évoque le sida par une photo de cactus en gros plan. Glacée et nacrée, l’image semble tout droit issue d’une revue de botanique hormis les trois énormes fils barbelés de couleurs qui s’incrustent irrémédiablement sur le fond. Redoutable également, l’affiche de Laurent Malone et Francine Zubeil à propos de l’«isolement». On y découvre deux silhouettes symétriques ratatinées dans le flou de la photo où deux taches de lumière irradiante viennent figurer la tête… A propos de «racismes et discriminations», Werner Jeker a choisi de représenter une espèce de croix gammée stylisée étalée sur des jambes marchant au pas au-dessus d’un immense fond noir. Optant pour l’hyperréalisme, l’atelier Plan fixe fait un gros plan sur le «travail» en prison en photographiant un tas de patates jouxtant une montagne d’épluchures sur fond de papier journal.

Et l’on comprend, entre autres, que le sida n’est pas pris en compte lors de la détention: on se rappelle ce détenu bénéficiant d’une libération anticipée juste pour agoniser. On médite également sur la réalité de la drogue, circulant abondamment dans certaines prisons européennes alors que la nourriture est tarifée dans les prisons africaines. Mêmes interrogations à propos de la sexualité qui ne fait l’objet d’aucune réglementation internationale. Bref, on se rend compte avec bonheur que l’OIP a raison de rappeler que la prison, en plus de la privation de liberté, est le lieu de toutes les violations de la loi par ceux-là mêmes qui ont pour mission de la faire respecter…

par Daniel Licht

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