PapyArt, profession : sérigraphe

— PENDANT LES RENCONTRES

📅 vendredi 9 et samedi 10 juillet dans les rues de Dieulefit


Portrait |  Un homme que vous avez sûrement déjà croisé avec son Sérisolex : PapyArt. Figure emblématique des pentes de la Croix-Rousse et des luttes anarchiques, il prêche pour sa paroisse laïque et solidaire, celle de l’art de la dérision et du partage de son savoir-faire.

Article paru dans Le Petit Bulletin, mardi 23 avril 2019 article et photos : © Sarah Fouassier


Au 44 de la rue Burdeau, le théâtre de poche Espace 44 a pignon sur rue, tout comme le local voisin qui abrite le syndicat de la Confédération Nationale du Travail. L’atelier de PapyArt se niche dans ces mêmes locaux, au fond, à l’abri des regards curieux des passants. Sérigraphe, artiste et militant, celui que tout le monde appelle Papy depuis le lycée tient la rue Burdeau depuis qu’il a 19 ans. « Papy ça vient du militantisme. Au lycée, pour éviter que le surveillant général ne sache nos vrais noms quand on allait faire des manifs ou mouvements de grève, on prenait des pseudos. » Papy deviendra Papyvore quand il tiendra son imprimerie, toujours rue Burdeau, de 1985 à 1992, « je bouffais tellement de papier avec cette imprimerie, qu’on m’a appelé Papyvore. PapyArt c’est venu après quand j’ai commencé à exposer mes pièces. »

Avant d’ouvrir l’imprimerie sociale et solidaire (ISA) qui officiait en offset et sérigraphie pour les luttes sociales et mouvements militants de gauche, Papy a traboulé à travers l’Europe du Nord au gré des luttes. « Très jeune je me suis tiré. Dans les années 70 pour moi la France était un pays de beaufs, le climat était très chiant, tout le monde roulait en bagnole et pensait qu’à son petit confort. » À vélo, avec les potes, il voyage en Allemagne, aux Pays-Bas. Et au Danemark, à Copenhague où il atterrit à 17 ans à Christiania, dans ce squat historique de la caserne désaffectée, terreau du quartier alternatif autogéré que l’on connaît aujourd’hui. Artistes, militants, chômeurs s’y côtoient en pleine crise du logement. Avec son CAP de conducteur offset en poche, Papy s’intéresse naturellement à la sérigraphie, un moyen d’impression artisanal peu coûteux qui sert à l’élaboration de tracts et d’affiches. « Ce courant militant libertaire beatnik était ultra créatif. On prenait nos vélos, on allait à Amsterdam à Pâques, et on passait l’été à Copenhague. »

Les luttes se suivent sans s’apparenter. Antinucléarisme, antiracisme, antimilitarisme. Toute cause revendiquée a besoin d’un sérigraphe ingénieux à qui confier ses impressions comme « Le Jovial Croix-Rousse de 1976 à 1979, un journal qu’on collait sur les murs en signe de lutte contre la démolition du plateau. Il était imprimé et dessiné par des personnes différentes à chaque fois, c’était super collaboratif, les gens venaient chercher le journal et le collaient en bas de leur immeuble. » Ce canard signe le début de l’impression et de la sérigraphie collective. « Aujourd’hui les gens vendent les originaux 300€ sur eBay, les gens sont fous ! Pour contrer ça, je photocopie les originaux et je les partage. »

Solidaire avant toute chose, Papy participe aux différents réseaux d’impressions collectives. Les machines se vendent ou se troquent dans toute la région entre militants antinucléaires durant les années 80. Plus tard, le militantisme s’aide d’une aile de soutien : le rock alternatif. Les concerts en faveur des diverses luttes sociales drainent un nouveau public. « J’avais mon atelier mobile, pendant les concerts je sérigraphiais des t-shirts, des bandanas. Je me rappelle d’un des premiers concerts au Centre Pierre Valdo avec les Bérurier Noir en 1985. »

Ce qui va drainer un public encore plus large et plus jeune est l’apparition de l’encre à l’eau. Plus besoin de solvant pour imprimer ! Papy voit tout de suite le potentiel et le marché énorme qui s’offre à la sérigraphie. Ses ateliers d’initiation pour enfants ont immédiatement séduit, aujourd’hui il œuvre dans le milieu scolaire, au Musée de l’Imprimerie, dans les festivals et manifestations culturelles. « C’est quand même extraordinaire de pouvoir faire des ateliers de sérigraphie dans ce superbe musée à Lyon où a été inventée l’imprimerie ! » Dans cette confidence, l’on ressent le regard émerveillé qu’il porte à sa ville et à sa pratique qu’il a propagée jusque dans le milieu de réinsertion carcérale.



L’art de la débrouille

Partout où il est invité, il partage son savoir aux gamins et aux adultes à qui il inculque la débrouille. Pour sa production, il récupère papiers et enveloppes non utilisés auprès d’entreprises, les participants aux ateliers sont invités à apporter leurs propres t-shirts ou sacs. Dans sa démarche éco-responsable, l’antigaspillage est roi, comme le non profit. Tout ce que l’association Raclette Party, qu’il préside, gagne est réinvesti dans d’autres projets.

Son omniprésence dans les centres d’art, musées, festivals et événements culturels lui fait dire « il faut que je freine ». Amusante remarque de celui qui a créé le génial Sérisolex. Dans sa pratique de la sérigraphie, ce qui fait le succès de PapyArt c’est son humour surréaliste qui vous saisit avec des phrases courtes qu’il accompagne d’une ou plusieurs images. « Quand j’ai entendu la fameuse phrase de Séguéla, j’étais devant ma télé je me suis dit : à 50 ans sans Solex t’as loupé ta vie, j’ai immédiatement ressorti mon Solex de la cave. » À l’arrière de sa mobylette vieillotte, il place un cadre de sérigraphie, ainsi naîtra le Sérisolex qu’il trimballe un peu partout. Difficile de résister à l’envie de passer un coup de raclette lorsque Papy vous entraîne à mettre la main à la pâte.

PapyArt maîtrise parfaitement l’art du détournement des phrases, des objets, des panneaux de la route ou publicitaires : « à Paris j’aimais faire parler les pubs dans le métro au marqueur ». Dans son atelier, on trouve toutes sortes d’impressions et d’objets détournés comme ce vieux frigo sérigraphié qui lui sert de coffre-fort, ou ce panneau d’indication flanqué d’un « Piétons prenez le temps de regarder », ainsi que la fameuse affiche « Manif pour toast » à côté de l’illustration d’un Rafale agrémenté par « Cultivons le « mourir ensemble » ». Le bonhomme ne se contente pas de créer, il appose un regard réjouissant à notre société en s’appropriant ses angoisses et ses absurdités. Il revisite d’anciens slogans ou affiches notamment de Mai 68 dont le parfum s’humecte toujours par ici.

« Je m’amuse et je fais ce qui me passionne, je peux fabriquer un truc à 2h du mat’ juste pour m’amuser. » Comme ces meubles trouvés dans la rue qu’il aime customiser. « J’adore les pentes pour ça, personne ne va à la déchetterie (rires), je donne une seconde chance à ces meubles dont personne ne veut, j’aime dire que je fais de la sérigraphie sociale » et intelligente pourrions-nous ajouter. En plus d’enseigner l’histoire des luttes sociales, il inculque un savoir qui se perd : celui de ne pas se prendre au sérieux.

En assistant à sa visite guidée sur l’histoire militante des pentes, on découvre sa pédagogie humoristique ainsi que son sens aigu de l’observation de la rue, des objets qui la peuplent, et des passants qu’il n’hésite pas accoster (…). Après la balade, on tombe par hasard sur un mur portant fièrement une pièce sérigraphiée de Papy en forme de carte de paiement : « Banque Papy@rt – Je (dé)pense donc je suis » signée « Descartes (de crédit) ». Un bout de phrase dont la vue nous fait esquisser un sourire accompagné d’une réflexion sur notre pouvoir à faire bouger les lignes. Voilà toute l’intelligence de l’art poétique de PapyArt.

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